Members' Research Service By / October 26, 2013

La condition féminine en Arabie Saoudite

par Eric Pichon [mis à jour le 28/10/2013] Médiatisée par les manifestations pour le droit de conduire, la situation des…

par Eric Pichon [mis à jour le 28/10/2013] Médiatisée par les manifestations pour le droit de conduire, la situation des femmes en Arabie Saoudite est l’une des plus inégalitaires des pays développés. Les pressions internationales et les nécessités économiques ont incité le roi Abdallah à entreprendre des réformes : celles-ci visent à améliorer la représentation politique des femmes et à leur ouvrir le marché du travail. Ces mesures n’ont cependant pas aboli la ségrégation sociale dont les femmes sont l’objet ni la pratique de tutelle masculine qui limite leurs droits.

Domination masculine et ségrégation

abaya
(CC) Aslan Media / Flickr

Les citoyens d’Arabie Saoudite bénéficient  d’une espérance de vie ainsi que de niveaux de  revenus et d’études élevés (57e rang sur 186 selon l’indice de “développement humain” du Programme des Nations Unies pour le développement (IDH, PNUD) en 2012), mais les inégalités entre les sexes restent très importantes. Ainsi en 2012 l’indice “d’inégalité des genres” (PNUD) était de 0,682 – le pays le plus inégalitaire ayant un indice de 0,747.

La principale raison réside dans la doctrine de l’Etat (le wahhabisme), non entièrement codifiée mais fondée sur des traditions anciennes, et très respectée, car “l’islam est la religion de l’Arabe Saoudite, le Coran et la Sunna sa Constitution” (Loi fondamentale, 1992).

Selon cette doctrine, les femmes doivent avoir un tuteur masculin (mahram – le père, un frère, l’époux, le fils d’une veuve  ou l’ancien époux d’une femme divorcée). Les femmes doivent recevoir l’autorisation de leur tuteur pour un grand nombre d’actes : se marier, voyager, s’inscrire à l’école ou à l’université, et accéder aux services de santé.

La domination masculine est particulièrement frappante en ce qui concerne le droit de la famille : la polygamie des hommes est permise; après un divorce, les femmes perdent généralement la garde légale des enfants. Cependant, il y a quelques avancées : une proposition de loi visant à réglementer (mais non à interdire) le mariage des filles de moins de 16 ans a été déposée en avril 2013 ; en août 2013, la première loi sanctionnant les violences contre les femmes a été adoptée.

La ségrégation des sexes est de rigueur dans les espaces publics et les femmes ne peuvent sortir que couvertes d’une tunique noire recouvrant les vêtements et ne découvrant que les yeux (abaya).

Au quotidien, une surveillance sévère est exercée sur leur comportement par la Commission pour la Prévention du Vice et la Promotion de la Vertu, composée de milices de quartier (muttawain). Ces milices sont encadrées depuis 2010 par des officiers de police, à la suite d’abus de pouvoir révélés par la presse et les médias sociaux.

Lentes évolutions

Les nombreuses discriminations qui résultent de la pratique de la tutelle masculine sont régulièrement rappelées par les organisations non gouvernementales (ONG). Les réformes entreprises sous la régence (1996-2005) d’Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud  puis sous son règne (depuis 2005) ont contribué à améliorer la vie des femmes, mais n’ont pas aboli le mahram.

Participation politique

Afin de respecter ses engagements internationaux (voir ci-dessous), l’Arabie saoudite  a réalisé des progrès vers l’égalité politique : en 2009, une femme entre au gouvernement (Noura al-Faiz, ministre déléguée à l’éducation) et en 2011, le roi accorde aux femmes le droit de vote pour les élections municipales (à partir de 2015) et le droit de siéger – séparées des hommes – à l’assemblée consultative nationale Majlis al Shura (depuis février 2013, les femmes représentent un cinquième de ses 150 membres). Cependant, le rôle des citoyens dans la vie politique reste très limité, quel que soit leur sexe.

Droit de conduire

L’Arabie Saoudite est le seul pays au monde où les femmes n’ont pas le droit de conduire. Parmi les arguments des autorités religieuses, le plus répandu concerne le risque d’échapper à la surveillance de leur “mahram”, d’autres raisons invoquées sont plus fantaisistes. Le roi lui-même s’est dit favorable à ce que les femmes conduisent mais a indiqué que “cela prendra un peu de temps“. Le 9 octobre 2013 une proposition de mettre fin à cette interdiction a été portée au Majlis al Shura. Une nouvelle campagne de femmes pour le droit de conduire a eu lieu le 26 octobre 2013.

Pression économique

Plus de la moitié des diplômés de l’université sont des femmes et pourtant leur participation au marché du travail est l’une des plus faibles au monde (27 femmes pour 100 hommes, 133e rang sur 135 selon l’indice de “participation économique” du Global Gender Gap Report 2012 du Forum économique mondial).

Au-delà du fait que beaucoup de ménages peuvent difficilement subsister avec un seul revenu, les barrières à l’emploi des femmes fragilisent aussi l’économie du pays. Le gouvernement a mis en place en 2009 des mesures pour l’emploi , qui prévoient d’offrir plus de formation et d’opportunités aux femmes saoudiennes qui veulent travailler. Mais ces mesures ne visent pas à lutter contre la ségrégation des femmes : ainsi la promotion du télétravail permet de ne remettre en cause ni l’interdiction pour les femmes de conduire, ni l’exigence de séparation des zones de travail par sexe, que beaucoup de petites entreprises ou de commerces ne peuvent pas mettre en place.

Contraintes  sociales et religieuses

Selon plusieurs analystes, la société saoudienne dans sa majorité (y compris chez les femmes) estime que la condition féminine dans le royaume constitue une “spécificité culturelle”. Ceci pourrait expliquer la lenteur des réformes : en effet, pour conserver un soutien populaire, les monarques saoudiens ont, jusqu’ici, préféré suivre plutôt que précéder l’évolution des mentalités.

Le roi se doit aussi de veiller au subtil équilibre entre son pouvoir et celui du clergé : les leaders religieux (oulémas) étant les employés du gouvernement, ils ne peuvent s’opposer frontalement à lui ; cependant, leur rôle de gardiens de la charia (loi islamique) leur permet de critiquer des réformes qui se départiraient, selon eux, des principes de l’islam.

Convention internationale

En 2000, l’Arabie Saoudite a ratifié la Convention des Nations Unies sur  l’élimination des discriminations envers les femmes (CEDAW, 1979) en se réservant le droit de ne pas appliquer ce qui lui semblerait incompatible avec les dispositions du droit islamique.

Dans ses observations (2008) sur l’application de cette convention par l’Arabie saoudite, le Comité CEDAW a fait part de ses préoccupations et a demandé notamment au royaume de mettre un terme à la pratique du tutorat masculin et aux discriminations à l’encontre des femmes dont la violence.

Union européenne

Les relations UE-Arabie Saoudite reposent sur l’accord de coopération avec le Conseil de coopération des Etats arabes du Golfe (CCG) (1988). L’inclusion d’une clause sur les droits de l’homme (et de la femme) est un obstacle à la finalisation d’un accord de libre échange.

En 2011, la Haute Représentante de l’UE pour les affaires étrangères a affirmé son soutien aux manifestations des femmes pour le droit de conduire et a salué les décisions favorisant la participation des femmes en politique.

Parlement européen

Plusieurs résolutions (dont celles du 13 décembre 2007 et du 24 mars 2011) ont demandé à  l’Arabie Saoudite et aux états du CCG de mettre fin aux discriminations à l’encontre des femmes. Le rapport de la 9ème rencontre interparlementaire PE – Arabie Saoudite rappelle aux institutions européennes la nécessité de soutenir cette position dans leurs relations avec l’état saoudien.

Un rapport sur l’Arabie saoudite, ses relations avec l’Union européenne et son rôle au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est en préparation au sein de la commission parlementaire Affaires étrangères (rapporteur: Ana Gomes, S&D, Portugal).

[PDF – version du 24/10/2013]


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